Le Sahel a tout, bien qu’il y ait une idée qu’il n’y a rien dans le désert, car j’ai déjà reçu plusieurs exemples du mythe du touriste qui, en quittant le ferry à Tanger, laisse une mer de sable et de dunes pour Le Maroc à l’extérieur.
Le Sahel est la « frontière » naturelle (traduction littérale) qui sépare l’Afrique du Nord, le vaste désert du Sahara, du reste de l’Afrique subsaharienne. Long tronçon de 5 400 km de la Gambie/Sénégal à la Somalie et en moyenne entre 500 km et 700 km de large. Donc une zone de frontières sur le papier, indéfinie et presque toujours imaginaire sur le terrain, sans repères ni postes frontières tels que nous les connaissons habituellement. Compte tenu de la taille de cette longue « langue de sable » qui « relie » l’océan Atlantique à la mer Rouge, nous concentrons cette analyse sur le Sahel occidental, politiquement et militairement appelé le G5 Sahel et qui comprend la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad. Du point de vue de l’importance géostratégique pour l’Europe, le Mali a concentré tous les ingrédients de la nécessité de la mise en place de missions militaires tant par la France (Barkhane) que par les Nations unies (MINUSMA), même s’il se divise dans un pays divisé en deux entre sable et « forêt tropicale », tout un attirail militaire qui s’est avéré inefficace dès le départ dans une bataille toujours inégale entre la machine et le terrain, ce dernier ayant des particularités et des caractéristiques, surtout dans le nord, différant également d’une région à l’autre, bien qu’il soit toujours un environnement sec, désertique et inhospitalier. En fait, c’est ce qui force la distinction entre populations, entre tribus, entre clans et tribus.
Les grandes confédérations tribales du Nord
Les différentes tribus touaregs du Mali (attestons-nous ici, bien que le Niger, le Tchad et le Burkina soient aussi « foyer touareg ») ont une histoire ancienne et différente. Leur arrivée au Sahara correspond à des moments et des contextes historiques différents dans lesquels ces tribus s’installent et forment peu à peu une apparente culture commune, qui échappe à l’observateur le moins averti sur la question touareg. Le profane en la matière classe « les Touaregs » comme « les Gitans », « les Berbères » ou « les Arabes » car ils pensent appartenir tous à la même famille.
Le nord du Mali, communément appelé Azawad (en fait l’Azawad original, c’est juste un « petit » cube de transhumance – mouvement de bétail à la recherche de nourriture, toujours accompagné du berger/famille respectif – situé au nord de Tombouctou), se divise en trois grandes zones. Au nord-est, la région de Kidal, où règne la tribu des Ifoghas. En effet, il était irritant pour ces tribus et d’autres, affiliées ou non, de voir et d’entendre des analystes et journalistes français et autres, à partir de 2013, lorsque l’opération Serval a commencé, se remplir la bouche de la phrase « Adrar des Ifoghas », comme si de grands les connaisseurs de la région se régalaient. Les « adrar » sont les montagnes, un élément qui à première vue semble incompatible avec le paysage désertique qui vient à l’esprit lorsque le désert est un sujet de conversation. Ce ne sont pas des « montagnes de Sintra au milieu du sable », mais plutôt des « plages rocheuses » où celles-ci, les roches caverneuses, forment le sable d’un massif montagneux qui couvre environ 250 000 km2. Un paysage lunaire avec des sommets ne dépassant pas 100 mètres, de vastes vallées et des grottes qui relient un rocher à un autre et où AQMI (Al-Qaïda au Maghreb islamique) a trouvé un refuge idéal à partir de janvier 2013.
La Confédération Ifoghas comprend les Ifoghas eux-mêmes, les Imghad, les Idnan, les Chamanamas (minorité) et un grand nombre d’autres tribus minoritaires et affluents du principal et/ou des fractions et sous-fractions de ceux-ci. L’affaire n’est pas facile et ce qui est aujourd’hui ne sera peut-être pas demain, c’est pourquoi surtout les Français et plus récemment tout occidental en uniforme est toujours mal vu par les locaux car il est très facile de jouer au jeu du diviser pour mieux régner. Ces tribus minoritaires et autres factions claniques, dans le bouquet social des affluents, changent facilement d’alignement pour une boîte d’aspirine, de Viagra, voire quelques sacs de charbon. La terre où il n’y a pas d’arbres n’est pas du charbon !
Au sud-est, la région de Gao et Ménaka, où règne la tribu Imouchar, également connue sous le nom d’Iwillimids. La Confédération Imouchar/Iwillimides se compose d’elle-même, d’une grande partie des Chamanamas (en harmonie avec les Chamanamas des Ifoghas de Kidal), des Dossahaq et des Kel Essouk. Comme dans le cas précédent, il existe ici aussi de nombreuses tribus minoritaires tributaires, l’une ou l’autre. Ce sud-est n’est pas exclusivement touareg comme le nord, avec une forte présence songhaï, une majorité d’ethnie noire ici et une minorité à Tombouctou.
Au sud-ouest, dans la région de Tombouctou, règne la tribu des Kel Ansar, cette confédération est composée des Kel (Peuple) Ansar eux-mêmes, par une majorité de Chérifs, et par une grande partie de Berbères dans la lignée des grands Kel Famille Ansar (originaire de Médine et du Yémen, qui s’est installée dans la région au milieu du XVIe siècle, après s’être installée auparavant à Al Andalus, qui comprenait notre Tage au-delà). Cette région est tout aussi complexe que la précédente, en termes de relations de loyauté et d’interdépendance entre ses membres. Tombouctou, la ville/région la plus cosmopolite de l’Azawad/nord du Mali, connaît également la présence des ethnies noires Songhaï et Peul (ces derniers étant très assimilés par les Tamachek, également appelés Touareg). La présence de Maures, sans guillemets, qui parlent le hassanya (lingua franca du sud du Maroc au Mali et qui remonte à l’époque des caravanes des XVe et XVIe siècles), est également très remarquée dans cette région. Ce sont des Berbères arabisés, mais jamais cultivés, ce qui leur donne une spécificité qui les distingue et les place dans une catégorie à part. Islamistes et croyants comme tout le monde, j’aime toujours qualifier ces Maures d’une étiquette interdite dans l’islam, celle de « musulmans non pratiquants » !
Factions tribales dans les groupes rebelles et les partis politiques au Mali
Le Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) s’est toujours présenté comme le favori des Français pour les négociations, car il a toujours été la plus grande force fédératrice des divers intérêts tribaux, qui une phrase contraire c’était aussi sa plus grande faiblesse.
Pour arriver au présent, il faut partir de 1990 avec la mise en place du Mouvement populaire de l’Azawad pour la libération de l’Azawad (MPLA), composé de Touaregs et de tous les Maures du Nord (groupe arabo-berbérophone), jusqu’à la signature des Accords de Tamanrasset le 6 janvier 1991. Lors des négociations de ces accords, sous la pression malienne et algérienne, le « L » de « Libération » est retiré et le MPLA devient MPA. Dans le même temps, le Front arabe islamique de l’Azawad (FIAA), créé pour s’inscrire dans le processus de négociation en cours, apparaît.
En 1991 apparaît le Front Populaire de Libération de l’Azawad (FPLA), sous prétexte que le conflit d’intérêts au sein du MPA ne permettrait pas une défense adéquate de la cause touareg. Le FPLA était principalement composé de membres de la tribu Chamanamas de Gao et Menaka.
Toujours en 1991, l’Armée Révolutionnaire de Libération de l’Azawad (ARLA) est créée, composée de la tribu Imrad de Kidal, Gao et Tombuktu, qui étaient d’anciens affluents des Ifoghas de Kidal, des Kel Ansar de Tombuktu et des Imouchar. / Iwillimides de Gao et Ménaka.
En 1992, le Front national pour la libération de l’Azawad (FNLA), composé de la tribu Idnan de Gao et Kidal, et le Front uni pour la libération de l’Azawad (FULA), composé uniquement de la tribu Kel Ansar de Tombuktu, dissidents de la MPA et la FLA.
Il y a donc 4 mouvements (MPA, FPLA, ARLA, FIAA) qui négocient avec l’Algérie et l’Algérie conditionne les négociations en disant qu’elle ne veut qu’un seul interlocuteur. Ainsi est né le Mouvement du Front uni de l’Azawad (MFUA), qui a signé le Pacte national le 11 avril de la même année (1992). Point important, à ne pas confondre avec Tamanrasset/91, ce pacte vise à garantir le cessez-le-feu total entre le Mali et le MFUA convenu à Tamanrasset/91.
Le FNLA et les FULA ne font pas partie du MFUA car ils ont été créés après la signature du Pacte national, mais ils sont acceptés en 1994 lorsque le MFUA fait partie de l’administration et des corps militaires et paramilitaires du Mali. Les périodes de paix ont été particulièrement propices à la réintégration de ceux qui ont rompu, et à partir de 1996 tous les mouvements ont officiellement cessé d’exister, laissant dans le registre et dans la mémoire les loyautés forgées et les déchirements.
Comment ce processus alimente-t-il la montée des groupes terroristes/djihadistes ?
À commencer par l’AQMI, l’entité fédératrice des divers groupes/tendances qui ont émergé plus tard, à partir des connexions régionales/tribales développées plus tôt. L’AQMI est un recyclage de 2007 du Groupe salafiste algérien pour la prière et la lutte, qui avait besoin d’une nouvelle mission, d’un nouveau souffle après la fin de la guerre civile en Algérie. A cet égard, il est important de prendre en compte l’intérêt algérien pour ce recyclage, ainsi que le fait qu’il s’agissait d’un processus initié et contrôlé par les services algériens. Sachant que le problème ne disparaîtra pas par décret, il vaut mieux l’intégrer dans un effort pour maintenir la connaissance des tendances de l’intérieur, pour avoir un contrôle éventuel sur les objectifs et les actions des terroristes, et aussi pour les manipuler. Ignorer cette réalité reviendrait à ne pas être préparé à tout ce qui arrive, et dans ce domaine il y a toujours quelque chose à venir.
Ainsi l’AQMI réunit les Ansar Eddine, une branche créée pour conquérir le cœur des Kel Ansar de Tombouctou, qui les rejetèrent, et conserva son noyau dur avec les Ifoghas de Kidal. Le MUJAO, le Mouvement d’Unité pour le Jihad en Afrique de l’Ouest, a une majorité ethnique en Songhaï, comprenant des Maures, des Peuls, des Nigérians, des Sahraouis, quelques Touaregs et des Mauritaniens (la grande force de ce groupe est le fait qu’il se compose principalement de trafiquants de drogue) créé sur la base de l’AQMI, pour gagner le cœur de Gao, où se trouve la majeure partie de cette ethnie.
Il y a d’autres groupes à considérer, fondés de la même manière et avec les mêmes objectifs, donnant ici une idée de la complexité à laquelle sont confrontés les Français, quittant actuellement la scène malienne, depuis le XIXe siècle, ce qui prouve aussi que ces mouches se sont battues non pas avec des bombardiers supersoniques, mais avec la conquête de l’empathie de la population, la grande difficulté de l’ex-puissance colonisatrice sur la terre de ceux qui se sont battus avec du sang, de la sueur et des larmes pour leur propre émancipation.
Politologue/Arabiste
www.maghreb-machrek.pt